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LE POINT SUR

Vitamine D et réponse immunitaire

La vitamine D joue un rôle clé dans l’absorption du calcium et la minéralisation des os. Mais il est maintenant établi que la vitamine D joue également un rôle prépondérant dans la régulation de l’inflammation.
un article rédigé par Chloe BOST 19/04/2023
"Un point sur" proposé par

le Docteur Anne Astier, Institut toulousain des maladies infectieuses et inflammatoires (INFINITy – CNRS, Inserm, UT3)

  • Une publication accompagnée par le Dr Chloe BOST, (Toulouse) et le Pr Sylvain DUBUCQUOI (Lille)
  • Public cible : grand public
  • Temps de lecture : 10 minutes

D’où vient la vitamine D ?

La réception de rayons ultraviolets sur la peau lors d’une exposition solaire permet la synthèse de vitamine D (vitamine D3 ou cholecalciferol), bien qu’une petite partie puisse aussi être apportée par des aliments tels que par exemple, les poissons gras, les œufs… La vitamine D est produite sous forme inactive et doit subir deux hydroxylations dans le foie puis le rein afin d’être active. (i) L’hydroxylation dans le foie génère la 25 OHD (ou calcidiol), qui est mesurée dans le sang pour estimer le taux circulant de cette Vitamine (demi-vie environ deux semaines). (ii) L’hydroxylation dans le rein génère quant à elle la forme active de la Vitamine D (calcitriol ou 1,25(OH)2D) qui a une demi-vie de quelques heures. Ces hydroxylations sont contrôlées par des enzymes de la famille des cytochromes P450, dont notamment la CYP27B1 qui génère la forme active et le CYP24A1 qui catabolise la réaction pour éviter un "trop plein" de vitamine D active.

Quel est le rôle de la vitamine D ?

La vitamine D joue un rôle clé dans l’absorption du calcium et la minéralisation des os. Mais il est maintenant établi que la vitamine D joue également un rôle prépondérant dans la régulation de l’inflammation en agissant directement sur la fonction des cellules immunitaires.

Par exemple ?

Les cellules dendritiques (encart) expriment le récepteur de la vitamine D active (le VDR) ainsi que l’enzyme CYP27B1. Elles peuvent donc générer elles-mêmes de la vitamine D active et y répondre. L’ajout de calcitriol (vitamine D active) sur ces cellules dendritiques va moduler leur maturation en réduisant l’expression des molécules de costimulation (CD80/86...) et de CMH II à leur surface, et donc diminuer leur capacité de présentation d'antigène et d’activation des lymphocytes T. De plus, ces cellules dendritiques dont la maturation est réalisée en présence de calcitriol peuvent générer des cellules T dites régulatrices (Tregs) grâce à une production accrue de cytokine anti-inflammatoire IL-10. Elles ont donc un profil tolérogénique.

La vitamine D exerce aussi un rôle direct sur les lymphocytes T. En effet l’activation des cellules T provoque une augmentation de l’expression du VDR, récepteur nucléaire qui agit sur la transcription de gènes impliqués dans la réponse lymphocytaire T. L’addition de vitamine D active module profondément les lymphocytes T. Elle va de façon générale inhiber la différentiation des sous-types lymphocytaires à caractère pro-inflammatoire tels que les Th1 et Th17 et promouvoir les lymphocytes Th2 ou les lymphocytes T régulateurs ainsi que l’augmentation de sécrétion d’IL-10.

L'action de la vitamine D sur le système immunitaire n'est pas que suppressive ou modulatrice. Rappelons que l'un des premiers traitements de la tuberculose (avant l'ère des antibiotiques) passait par l'exposition au soleil... On a compris bien plus tard que cela passait par la production de cette vitamine. De même, les taux circulants de vitamine D sont inversement proportionnels au risque de développer des infections respiratoires aiguës chez l'adulte. Cela s'est vérifié avec la COVID-19 (voir M. Bae et al. Molecules, nov 2020).

En fait, cette vitamine (comme la vitamine C d'ailleurs) optimiserait la qualité des barrières naturelles tout en limitant le développement de la réponse inflammatoire.

Quel est le lien entre la Vitamine D et les maladies auto-immunes ?

La carence en vitamine D a été associée au développement de plusieurs maladies auto-immunes, dont par exemple, la sclérose en plaques (SEP). Dans le cas de la SEP, il y a des données épidémiologiques claires sur la corrélation entre latitudes élevées (donc moins d'exposition solaire et moins de vitamine D produite) et augmentation de l'incidence de la SEP, ainsi que de la sévérité de la maladie. Les patients ont généralement des taux moindres de vitamine D circulants. L'une des raisons proposées est justement que la vitamine D exerce des effets sur les cellules de notre système immunitaire, en réduisant les réactions inflammatoires. Moins de vitamine D pourrait donc avoir un effet néfaste avec une inflammation moins bien contrôlée. De plus, les analyses pan génomiques à grande échelle ("GWAS") ont identifié des polymorphismes associés à un risque accru de SEP dans les gènes qui régulent la production de vitamine D. Ces données laissent à penser que la carence en vitamine D participe au déclenchement de la SEP. De nombreux laboratoires cherchent donc à déchiffrer plus en avant ce qui se passe d'un point de vue moléculaire.

Un petit mot de la physiopathiologie de la sclérose en plaques (SEP)

La SEP est une maladie auto-immune dite "T médiée" (impliquant les lymphocytes T). Dans cette pathologie, d'importants infiltrats de cellules immunitaires sont décrits au sein des lésions du système nerveux central (SNC) et sont caractéristiques de la maladie. Ces infiltrats contiennent majoritairement des lymphocytes T et plusieurs études ont indiqué que des sous populations de cellules T CD4 et CD8 peuvent jouer des rôles différents dans le processus de la maladie : les cellules T CD8 étant majoritaires sur les bords des lésions et les cellules T CD4 au centre des lésions (Denic et al. 2013).

La présence de ces cellules illustre leur capacité à passer la barrière hémato-encéphalique (BHE), à entrer dans le parenchyme cérébral et à initier la perte des oligodendrocytes protégeant les neurones, induisant finalement la mort des cellules neuronales (Frischer et al. 2009).

On pense que la maladie commence par l'activation des cellules T effectrices auto-réactives en dehors du SNC ("périphérie"). une fois activées, elle traversent ensuite la Barrière Hémato-Encéphalique (BHE) vers le SNC. Une fois dans le SNC, les lymphocytes T sont réactivés par des cellules présentatrices d'antigènes locales et recrutent une seconde vague de lymphocytes T et de macrophages pour établir la lésion inflammatoire. Les cellules T sont présentes dans ces infiltrations du SNC aux temps précoces de la maladie. On note que les principales populations de lymphocytes T CD4 pro-inflammatoires associées aux maladies auto-immunes, y compris la SEP, sont les lymphocytes T "Th1", qui sécrètent l'IFN-gamma, le facteur GM-CSF et le facteur de nécrose tumorale alpha (TNF-alpha) et les lymphocytes T Th17 qui sécrètent l'interleukine (IL)-17, IL-21 et IL-22. Les cytokines pro-inflammatoires Th1 et Th17 sont produites en quantité importante chez les patients atteints de SEP. Les observations dans les modèles murins indiquent que la prédominance relative de la réponse immune Th1 par rapport à Th17 influence la localisation de l'inflammation dans le SNC (localisation encéphalique ou spinale).

Bien que longtemps sous-estimé, le rôle des lymphocytes B et des anticorps dans la physiopathologie de la SEP est de plus en plus reconnu. L'un des premiers arguments est la présence d'une synthèse intra-téchale d'immunoglobulines, attestée par la présence de bandes oligoclonales dans le LCR chez plus de 95% des patients . (Salou et al. 2013). De plus, les lymphocytes B et les anticorps sont présents dans les lésions actives, en marge des lésions chroniques actives mais peu dans les inactives. Des follicules ectopiques B ont aussi été retrouvés dans les lésions. Et bien entendu, on note aussi l'efficacité du traitement par rituximab (anticorps monoclonal anti-CD20), qui déplète les lymphocytes B, permet de réduire les lésions inflammatoires décelées par l’IRM ainsi que les poussées chez les patients atteints de SEP de forme rémittente.

Quelle est votre activité de recherche ?

Au sein de notre groupe dans le centre de recherche INFINITy (CNRS, Inserm, UT3) l’un de nos projets vise à comprendre les mécanismes moléculaires par lesquels la vitamine D impacte les lymphocytes T et leurs fonctions.

Pour cela nous comparons la qualité de la réponse de cellules T de donneurs sains et de patients atteints de SEP, et ceci en collaboration avec plusieurs groupes (Britta Engelhardt en Suisse et Eric Thouvenot à Montpellier). Nous déterminons les mécanismes qui régulent leur activation ainsi que leur migration au sein du système nerveux central. D’autre part, nous analysons des cellules T de patients qui ont été traités par de la vitamine D à fortes doses. Cela devrait nous permettre d’identifier les effets de la vitamine D chez l’homme, parmi les patients atteints de SEP.

En effet, l’un des grands débats à l’heure actuelle est de savoir si la supplémentation par de la vitamine D peut améliorer, voire prévenir la SEP. Les résultats des essais cliniques sont assez contradictoires. Nous attendons donc avec impatience les résultats d’essais cliniques en cours. Ceci permettra peut-être enfin de préciser l’effet de la vitamine D dans la SEP.

Pour les Pros

Il est maintenant établi que la vitamine D active (calcitriol ou 1,25(OH)2D) exerce des effets immunorégulateurs en agissant directement sur l’activation et la différentiation des lymphocytes T (LT). L’activation par le TCR induit l’expression du récepteur nucléaire VDR, qui participe à l’activation lymphocytaire. Les LT possèdent de plus l’enzyme CYP27B1 de la famille des cytochrome P450 qui permet aux cellules de convertir le 25(OH)2D en 1,25(OH)2D, ainsi que le CYP24A1 qui catabolise cette dernière et permet donc de contrôler le taux de vitamine D active. L’ajout de calcitriol in vitro permet l’inhibition des lymphocytes Th1, Th17 et promeut la différentiation Th2 et des cellules régulatrices, incluant à la fois les Tregs Foxp3+ ainsi que les cellules Tr1 (type I regulatory T cells) caractérisées par leur sécrétion d’IL-10.

Les études épidémiologiques ont clairement démontré la corrélation entre vitamine D et risque de développer la SEP. Les patients ont des taux réduits de 25OHD circulants et ceci est également corrélé avec la sévérité de la maladie. Les modèles animaux de SEP (experimental autoimmune encephalomyelitis - EAE) ont également démontré un rôle protecteur de la vitamine D avec une réduction du score clinique, lié a une modulation des lymphocytes. Le rôle direct de la vitamine D dans les lymphocytes a été montré en utilisant des souris KO pour le gène du VDR dans les lymphocytes T. La supplémentation par de vitamine D chez ces souris ne protège plus de l’EAE. Les données épidémiologiques et les résultats obtenus à partir des modèles animaux ont donc conduit à des essais cliniques. Les résultats de ces derniers sont cependant contradictoires. Les données des essais en cours sont attendues afin de clarifier le rôle de la vitamine D dans la SEP, tels que celui de D-lay MS du Pr. Eric Thouvenot au CHU de Nîmes, dans lequel les patients en CIS ont été traités avec 100.000 UI ou placebo toutes les 2 semaines. Les analyses biologiques permettront peut-être de préciser l’effet de la vitamine D sur les cellules immunitaires des patients et sur l’évolution de la maladie.

Un mot de la fin ?

  • S’exposer au soleil, oui, mais avec modération pour éviter coups de soleil et surtout cancers de la peau ! Et doser son taux de vitamine D circulant afin de voir s’il y a carence.
  • Se supplémenter en vitamine D : oui, mais en respectant les doses indiquées car trop de vitamine D peut être toxique !
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