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Succès des « CAR-T cells » anti-CD19 dans le traitement du lupus érythémateux systémique réfractaire

Cinq patients avec Lupus érythémateux systémique (LES) actif réfractaires à plusieurs traitements immunosuppresseurs ont bénéficié d’un traitement compassionnel par cellules « CAR-T ». Une rémission clinique sans traitement d'environ 8 mois a pu être obtenue malgré la réapparition d’une population lymphocytaire B.
un article rédigé par Delphine GIUSTI 14/10/2022

Le lupus érythémateux systémique

Le lupus érythémateux systémique (LES) est une maladie auto-immune affectant 0,1% de la population, principalement les femmes jeunes. Dans cette pathologie, des auto-antigènes comme l’ADN double-brin, les nucléosomes ou d’autres antigènes nucléaires solubles sont pris pour cible par le système immunitaire. La présence précoce d’une réponse lymphocytaire B ciblant ces antigènes, avant même l’apparition des premiers symptômes, a motivé le développement de thérapies ciblant l’activation B par des anticorps monoclonaux anti-BAFF/LySS ou déplétant les lymphocytes B par anti-CD20, avec un certain succès. Cependant certaines formes sévères échappent à ces thérapies. Ce phénomène peut être expliqué par la persistance de lymphocytes B auto-réactifs dans les organes lymphoïdes difficilement accessibles aux Ac monoclonaux et par l’absence d’expression de CD20 par les plasmablastes (précurseurs des plasmocytes) et les plasmocytes à longue durée de vie.

Communication de l’équipe de Georg Schett, Allemagne

Dans cette étude cinq patients (dont 4 femmes) entre 18 et 24 ans ont été inclus avec un LES actif (SLEDAI-2K entre 8 et 16) et une atteinte multi-organes, incluant des glomérulonéphrites, atteintes cardiaques, pulmonaires ou articulaires mais non neurologiques. Tous les patients avaient été auparavant exposés à plusieurs thérapies immunosuppressives : glucocorticoïdes (5/5), hydroxychloroquine (5/5), mycophenolate mofetil (5/5), belimumab (5/5) cyclophosphamide (3/5), et azathioprine (2/5). Un seul patient avait été exposé au rituximab.

Les CAR-T cells ont été produites à partir des lymphocytes T autologues des patients : après leucaphérèse, les cellules subissent une transduction in vitro par un vecteur lentiviral contenant la séquence codant un fragment variable dérivé d’un hybridome anti-CD19 (FMC63). Après onze jours d’expansion, les CAR-T cells sont administrées aux patients conditionnés au préalable par une chimiothérapie lymphodéplétante de fludarabine et cyclophosphamide.

Résultats

Une expansion rapide des CAR-T cells in vivo est observée jusqu’à J9 (représentant alors de 11 à 59% des lymphocytes T circulants) suivie d’une disparition de la circulation. Le phénotype T « mémoire centrale » est en faveur d’une relocalisation vers les organes lymphoïdes et autres tissus. La déplétion B était totale dès le 2ème jour.

Cliniquement, à 3 mois de l’injection, 4 patients sur 5 ne présentaient plus aucun signe d’activité de la maladie (Score SLEDAI-2K à 0) et le cinquième avait un score à 2 (protéinurie résiduelle traitée avec succès par inhibiteur d’enzyme de conversion de l’angiotensine). La néphrite cessa chez les 5 patients, une normalisation des concentrations des fractions du complément C3 et C4, ainsi qu’une disparition des Ac anti-ADN natifs furent observées de manière durable. Les manifestations sévères du LES comme l’arthrite, la fatigue, la fibrose des valves cardiaques, et les atteintes pulmonaires disparurent également. L’interféron alpha détectable chez tous avant traitement devint indosable (biomarqueur d’activité du lupus). A 3 mois, les 5 patients avaient atteint un stade de rémission clinique selon les critères DORIS.

Sur le long terme, une reconstitution de la population lymphocytaire B est survenue en 1 à 12 mois, sans entraîner de rechute du LES pour autant. Ces nouveaux lymphocytes B étaient principalement de phénotype naïf non commuté CD21+CD27- , IgD+, IgM+, et on notait l’absence de lymphocytes B mémoire activés dans cette population B émergente. Le traitement n’eut aucun impact sur le taux des immunoglobulines ou les réponses vaccinales à plusieurs pathogènes. La durée de suivi s’échelonnait entre 5 et 17 mois (dont seulement 2 patients suivis plus de 12 mois). Les effets à long terme nécessitent donc confirmation.

Tolérance

Concernant la tolérance, un syndrome de relargage des cytokines grade I (léger) a été observé chez 3 des 5 patients, se manifestant par de la fièvre traitée avec succès par métamizole et pour l’un d’eux par administration de tocilizumab au 3ème jour de fièvre. Les concentrations de protéine C réactive (CRP) et d’interleukine 6 étaient élevées chez 4 patients pendant les 5 premiers jours. Aucun cas de neurotoxicité n’a été recensé. Si la toxicité des CAR-T dans le traitement du lupus semble être moindre que dans le traitement des hémopathies malignes, la prudence est de mise devant le faible nombre de sujets de cette étude.

Ce qu’on apprend

Les résultats rapportés dans cette communication constituent un progrès remarquable dans le traitement des maladies auto-immunes, avec le recours pour la première fois chez l’Homme à des CAR-T cells dans cette indication, menant à une rémission totale sans traitement des patients pendant la durée de suivi de cette étude. L’élimination rapide des lymphocytes B et plasmablastes a permis l’abrogation de tout signe d’auto-immunité et une « réinitialisation » des lymphocytes qui ré-émergent après plusieurs mois avec un phénotype naïf. Malgré cette « réinitialisation », aucun impact sur la compétence du système immunitaire au cours du traitement n’est à déplorer, laissant penser que les plasmocytes à longue durée de vie sont peu touchés et que l’éradication des lymphocytes B activés et plasmablastes suffit pour atteindre une rémission clinique et immunologique.

Les limites de l’étude

Le nombre de patients inclus est très faible et la durée de suivi assez courte, les effets à long terme nécessitent donc confirmation, de même que les données sur la tolérance. Le profil des patients est particulier, ce sont des patients réfractaires à plusieurs lignes de traitements immunosuppresseurs mais jeunes et avec une médiane de durée de maladie de 4 ans seulement. Si chez ces patients, l’élimination des lymphocytes B et plasmablastes a suffi, on ne peut néanmoins exclure que, chez certains patients, l’auto-immunité soit plus portée par les plasmocytes à longue durée de vie n’exprimant pas CD19 et donc une moindre efficacité des CAR-T cells chez eux.

Pour en savoir plus

Anti-CD19 CAR T cell therapy for refractory systemic lupus erythematosus, Mackensen A et al., Nature medicine, 15 Sept 2022.

En auto-immunité, plusieurs stratégies « CAR-T » sont en cours de développement avec plusieurs technologies :

  • les CAR-T cells (Chimeric Antigen Receptor T) conventionnelles, cytotoxiques pour les cellules exprimant l’Ag reconnu par le récepteur chimérique ; comme vu ici les CAR-T cells anti -CD19 dans le lupus érythémateux
  • également des CAAR-T cells (Chimeric autoantibody receptor-T) utilisant des récepteurs chimériques à la surface de lymphocytes T composés d’un domaine extracellulaire de type auto-antigène capables de cibler les lymphocytes B spécifiques de cet auto-antigène. Des CAAR-T cells Dsg-3 ont ainsi été conçues pour le traitement du pemphigus vulgaire
  • et des CAR-Treg dirigés spécifiquement contre la protéine MOG (myelin oligodendrocyte glycoprotein) dans les modèles murins de sclérose en plaque par exemple

Ces différentes stratégies sont décrites et illustrées dans l’article de revue suivant : Orvain C, Boulch M, Bousso P, Allanore Y, Avouac J. Is There a Place for Chimeric Antigen Receptor-T Cells in the Treatment of Chronic Autoimmune Rheumatic Diseases? Arthritis Rheumatol. 2021 Nov;73(11):1954-1965. doi: 10.1002/art.41812. Epub 2021 Sep 22. PMID: 34042325.

Voir également : CARs: a new approach for the treatment of autoimmune diseases. Sci China Life Sci. 2022 Nov 4;1-18. doi: 10.1007/s11427-022-2212-5 et son pdf.

Sur le thème : traitement des maladies autoimmunes, le CEnI a publié : L’efgartigimod, une nouvelle molécule ciblant le FcRn, efficace en traitement de la myasthénie.

Les CAR T-cells, qu'est-ce que c'est ?

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