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LE POINT SUR

Potentiel de manipulation des lymphocytes MAIT pour une immuno-thérapie anti-infectieuse : évidences récentes

Les lymphocytes T invariants associés aux muqueuses (MAIT : Mucosal-Associated Invariant T) exercent des effets anti-microbiens rapides et à large spectre. Des travaux récents ont montré la preuve de concept d’une immunothérapie anti-infectieuse basée principalement sur les lymphocytes MAIT.
un article rédigé par Heloise FLAMENT 30/10/2023
Un dossier rédigé par le Dr Emmanuel TREINER (CHU et Université de TOULOUSE)
  • Public cible : Enseignants d’immunologie, immunologistes, médecins, pharmaciens

  • Temps de lecture : 7 minutes

  • Relu et mis en page par le Docteur Héloïse FLAMENT (CHU de Bichat, Paris), le Professeur Sylvain DUBUCQUOI (CHU de Lille)

Les lymphocytes T : amorçage, démarrage, décollage !

Les lymphocytes T jouent un rôle fondamental dans l’immunité anti-infectieuse et anti-tumorale. Dès la naissance, notre organisme génère et abrite un nombre colossal de ces lymphocytes, patrouillant entre le sang et les organes lymphoïdes à la recherche d’un antigène activateur.

Une fois rencontré, cet antigène constitue le ligand spécifiquement reconnu par le **récepteur d’antigène des lymphocytes T **(TCR : T Cell Receptor), présenté à ces derniers sous forme couplée à une molécule du complexe majeur d’histocompatibilité (MHC : Major Histocompatibility Complex) par des cellules myéloïdes spécialisées, les cellules présentatrices d’antigène (APC : Antigen Presenting Cells).

Le fonctionnement de ce compartiment immunologique (appelé « adaptatif ») est basé sur le fait que le contingent lymphocytaire est (a) quiescent, et donc incapable de d’exercer rapidement des fonctions anti-infectieuses après activation, et (b) qu’il est constitué d’un très grand nombre de clones lymphocytaires, chacun de ces clones étant en revanche de très petite taille.

Pour qu’une réponse lymphocytaire efficace se mette en place, plusieurs étapes sont nécessaires :

  1. l’activation lymphocytaire des lymphocytes spécifiques des antigènes rencontrés, induisant
  2. une prolifération intense des cellules spécifiques des antigènes rencontrés, s’accompagnant
  3. d’une différenciation en cellules effectrices, dotées de fonctions efficaces telles que la production de cytokines ou la cytotoxicité.
Figure 1. L’activation des lymphocytes MAIT peut entrainer une variété de fonctions: production de cytokines inflammatoires, cytotoxicité, réparation tissulaire, ou encore modulation de différents effecteurs immunitaires.

Qu'est-ce qu'un lymphocyte MAIT ?

Certaines sous-populations de lymphocytes T dérogent cependant à ces règles : les lymphocytes T innés (ou encore "non-conventionnels"), parmi lesquels on trouve les lymphocytes T invariants associés aux muqueuses (MAIT : Mucosal-Associated Invariant T). Les lymphocytes MAIT sont activés par des antigènes communs à un grand nombre de bactéries et de champignons, sous la forme de dérivés métaboliques de la riboflavine (vitamine B2), associés à une molécule spécialisée appelée MR1 (MHC-Related 1). De plus, ils présentent des fonctions diverses, dépendantes des conditions spécifiques à cette activation (localisation, cellules activatrices, signaux inflammatoires…). Contrairement aux lymphocytes T conventionnels, ces réponses sont rapidement induites par l’activation (figure 1).

Enfin, chez tous les donneurs testés, ils sont (relativement) abondants dans le sang mais aussi et surtout dans des territoires anatomiques très exposés aux infections, tels que l’intestin, le poumon et la peau. Ainsi, lors d’une infection, les lymphocytes MAIT sont rapidement activés dans les tissus infectés pour exercer des fonctions anti-microbiennes.

L’ensemble de ces caractéristiques singulières encourage la mise en œuvre de travaux visant à exploiter ces propriétés anti-infectieuses, à visée thérapeutique ou prophylactique.

Les lymphocytes MAIT comme nouveaux adjuvants thérapeutiques ?

Ainsi, des travaux, menés en particulier par les équipes de AJ Corbett et Z. Chen à Melbourne, ont apporté la preuve de concept d’une immunothérapie anti-infectieuse basée principalement sur les lymphocytes MAIT.

L’administration intranasale d’un composé pharmacologique activateur spécifique des lymphocytes MAIT -- le 5-(2-oxopropylidèneamino)-6-D-ribitylaminouracile, ou 5-OP-RU-- en association avec une molécule adjuvante de l’immunité innée (ligands de Toll-Like Receptors), ou des cytokines (IL-23), induit une expansion de ces lymphocytes dans les poumons, et un meilleur contrôle immédiat d’une infection pulmonaire par Salmonella typhimurium, Legionella pneumophila ou Francisella tularensis.

De façon encore plus intéressante, les mêmes équipes ont ensuite montré que l’activation des lymphocytes MAIT par voie systémique induit leur expansion dans de multiples compartiments anatomiques (foie, rein, poumons…), persistant pendant plusieurs semaines. Cette procédure permet un contrôle d’une infection systémique par F. tularensis ou pulmonaire par L. pneumophila, infections réalisées 1 mois après la stimulation des lymphocytes MAIT.

Ainsi, la réactivité large des lymphocytes MAIT vis-à-vis de très nombreuses espèces bactériennes et fongiques en font des candidats prometteurs d’une immunothérapie à visée prophylactique dirigée contre ces micro-organismes.

Bactéries ou virus, même combat !

En revanche, les agents pathogènes n’exprimant pas les ligands activateurs des lymphocytes MAIT, en particulier les virus, semblent hors champ d'action de ce type de cellules.** Et pourtant…**

Une équipe scientifique néo-zélandaise a récemment publié des travaux mettant en avant le potentiel de manipulation des lymphocytes MAIT dans un contexte de vaccination anti-virale. Dans une approche originale, ces chercheurs ont en effet montré chez la souris que la stimulation des lymphocytes MAIT augmente l’immunogénicité des antigènes présents dans leur environnement, c’est-à-dire l’intensité de la réponse immune contre des protéines virales, permettant à terme, l’obtention d’une réponse anticorps protectrice.

Pour cela, les auteurs ont co-administré par voie intra-nasale le 5-OP-RU avec des protéines recombinantes spécifiques du virus Influenza (hémagglutinine HA), ou du Sars-Cov2 (domaine RBD de la protéine Spike). Comme attendu, l’administration des protéines virales seules n’induit pas d’anticorps spécifiques, en raison de l’absence d’activation des cellules de l’immunité innée (telles que les cellules dendritiques qui sont les principales APC). En revanche, la co-administration du 5-OP-RU permet d’induire une réponse anticorps d’une amplitude similaire à celle obtenue à l’aide d’un adjuvant commercial à base de Squalène (MF59). Les anticorps anti-RBD obtenus sont neutralisants in vitro, et les anticorps anti-HA protègent efficacement les souris contre une infection par le virus Influenza.

Les chercheurs démontrent aussi que les lymphocytes MAIT sont bien activés et prolifèrent au niveau pulmonaire suite à cette administration intra-nasale. De plus, cette action est bien nécessaire à l’effet du 5-OP-RU, puisque l’effet est perdu en absence de lymphocytes MAIT (chez des souris déficientes pour MR1).

Lymphocytes MAIT et cellules dendritiques, un duo gagnant pour induire une vaccination efficace ... ouvrant la voie à de nouvelles perspectives thérapeutiques.

Quelle est la base mécanistique du phénomène ?

Après avoir exclu l’hypothèse selon laquelle les lymphocytes MAIT interagiraient directement avec les lymphocytes B spécifiques des protéines virales, les auteurs de l’article montrent que les lymphocytes MAIT agissent très probablement de manière indirecte.

En effet, après activation, ils deviennent capables d’activer les cellules dendritiques conduisant à leur migration vers les organes lymphoïdes par un mécanisme dépendant de l’interaction CD40L-CD40 ; celles-ci y présentent des peptides dérivés des protéines virales aux lymphocytes T CD4+ spécifiques. Ces derniers se différencient en lymphocytes T auxiliaires folliculaires (TFHs), capables de migrer vers les zones folliculaires où ils peuvent interagir avec les lymphocytes B spécifiques des mêmes antigènes viraux, permettant alors la différenciation plasmocytaire et la production d’anticorps de haute affinité (Figure 2).

Ainsi, les lymphocytes MAIT se comportent comme des adjuvants physiologiques, capables de délivrer les signaux nécessaires à une stimulation efficace de l’immunité adaptative. Ces résultats encore préliminaires demandent confirmation ; cependant, ils ouvrent des perspectives de manipulation de cette population lymphocytaire dans le contexte de la vaccination anti-infectieuse, prophylactique, mais également dans d’autres domaines telles que l’immunothérapie des cancers.

Figure 2. Panel du haut : les protéines virales (HA du virus influenza ou RBD du sars-cov2) administrées par voie intra-nasale ne sont pas immunogènes, et ne permettent pas la production d’anticorps spécifiques.

Panel du bas : en présence de (5-OP-RU), les mêmes protéines deviennent immunogènes. Les lymphocytes MAIT activés interagissent avec les cellules dendritiques intra-pulmonaires (interaction CD40L-CD40), qui peuvent alors activer des lymphocytes T CD4+ spécifiques des antigènes viraux. Une fraction de ces lymphocytes se différencient en lymphocytes T auxiliaires folliculaires, interagissent avec les lymphocytes B, permettant la différenciation plasmocytaire et la production d’anticorps anti-HA (ou anti-RBD) protecteurs.

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