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Covid-19 chez le sujet obèse : les mécanismes de l’inflammation dans le tissu adipeux décryptés

Deux études dont les résultats ont été publiés en septembre 2022 se sont penchées sur la contribution de l’infection et de la réplication du SARS-CoV-2 dans le tissu adipeux dans la pathogénie de la COVID-19.
un article rédigé par Heloise FLAMENT 23/01/2023
  • Public cible : immunologistes
  • Temps de lecture : 5 minutes
  • Un article relu par le Dr Chloé BOST, (Toulouse), et le Pr Sylvain DUBUCQUOI (Lille)

Comment expliquer que l’obésité est souvent associée à des formes plus graves de la maladie ?

L’obésité est l’un des principaux facteurs de risques de formes graves de Covid-19, mais les mécanismes à l’origine de cette association sont mal établis. Plusieurs mécanismes liés à des complications de l’obésité sont potentiellement impliqués, tels que des fonctions respiratoires altérées, une inflammation systémique basale, des réponses immunes basale et antivirale altérées, un état d’hypercoagulabilité. De plus, les complications pourraient découler plus directement de l’infection du tissu adipeux par le SARS-CoV-2. En effet, la pneumopathie à SARSCoV-2 est caractérisée par une forte inflammation dans le poumon, et jusqu'à récemment, la part de l'infection dans les sites extra-pulmonaires et leur contribution à la pathogénie de la maladie étaient peu connus. S'il était déjà connu que le virus SARS-CoV-2 était capable d'infecter d'autres tissus comme le tissu adipeux, les études antérieures n’avaient mis en évidence que la présence d’ARN viral et non de particules virales infectieuses capables de se propager.

L’infection du tissu adipeux contribue-t-elle à la sévérité de la covid-19 ?

A partir de tissu adipeux de patients prélevé à l’autopsie et de tissu adipeux non infectieux prélevé lors de chirurgie bariatrique, les deux articles récemment publiés ont étudié l’infection du tissu adipeux par le SARS-CoV-2 et la réponse inflammatoire qui en découle. Ils ont ainsi décrit les populations cellulaires cibles du virus au sein du tissu adipeux, et comment l’inflammation générée se propage au tissu voisin. Voyons ces résultats un peu plus en détail !

L'étude de Martinez-Colon et al. publiée dans Science Translational Medicine en septembre 2022

Objectifs:

Ce travail avait pour but d’identifier les cellules cibles du SARS-CoV-2 au sein du tissu adipeux, et de caractériser les altérations fonctionnelles induites par l’infection à l’échelle cellulaire.

Principaux résultats:

Du virus dans la graisse ?

Confirmant les résultats de plusieurs études précédentes ayant montré que le SARS-CoV-2 infecte le tissu adipeux in vivo, l’ARNm viral était détecté dans le tissu adipeux péricardique, viscéral et sous-cutané de patients décédés. Plus précisément, l’ARN viral était présent dans le cytoplasme des adipocytes, et un infiltrat de cellules mononucléées inflammatoires était présent dans ces tissus.

Le cycle infectieux du SARS-CoV-2 dans le tissu adipeux.

Pour étudier le mécanisme d’infection virale, les différents types cellulaires qui constituent les tissus adipeux viscéral et sous-cutané obtenus au cours de chirurgie bariatrique ou cardio-thoracique ont été isolés et infectés ex vivo. Deux types de cellules ont pu être ainsi infectées par le SARS-CoV-2: les adipocytes et les macrophages. L’infection des adipocytes était permissive, c’est-à-dire que le virus s’y réplique et que des particules infectieuses sont libérées dans le surnageant. De manière surprenante et contrairement aux résultats d’autres études, aucune expression du récepteur ACE2 n’a été mesurée au niveau protéique par Western Blot, suggérant que l’entrée du virus dans les adipocytes est indépendante de ce récepteur. Parmi les autres cellules immunitaires (cellules dendritiques, macrophages, lymphocytes B et T) et non immunitaires (préadipocytes et cellules endothéliales) isolées du tissus adipeux , seuls les macrophages étaient le siège d’une réplication virale. Cependant, à l’inverse des macrophages alvéolaires du poumon, les macrophages du tissu adipeux ne produisaient pas de particules virales infectieuses : la réplication était dite abortive.

L'nflammation locale en réponse à l'infection.

Les adipocytes infectés ex vivo ont une réponse antivirale très faible, mesurée par l’expression de gènes induits par l’interféron de type I. La fraction non adipocytaire (contenant les cellules hématopoïétiques, cellules endothéliales et de soutien) produisait par contre de nombreux médiateurs de l’inflammation (cytokines, chémokines, facteurs de croissance) qui sont retrouvés augmentés dans les formes sévères de COVID-19. L’étude du transcriptome par séquençage d’ARN a permis de définir un cluster de macrophages qui était préférentiellement infecté et avait un profil inflammatoire, produisant notamment des chémokines impliquées dans le recrutement des monocytes (CCL8 et CCL3). L’étude transcriptomique a également révélé que les préadipocytes au contact de ces macrophages inflammatoires, et qui n’étaient eux-mêmes pratiquement pas infectés, montaient une réponse inflammatoire caractérisée par l’expression de gènes stimulés par l’interféron, l’interleukine 6 ou encore des chémokines comme CXCL14. Ainsi, les adipocytes participeraient à l’amplification du virus, tandis que les macrophages initieraient l’inflammation locale (médiée par les préadipocytes).

Conclusions:

La conclusion de cette étude est que le tissu adipeux est un réservoir de virus, contribuant à l’inflammation locale et systémique. Le blocage de l’inflammation du tissu adipeux pourrait donc constituer une piste thérapeutique (la même que celle explorée dans le syndrome métabolique avec des inhibiteurs de cyclo-oxygénase). Cette étude soulève la question importante de l’expression du récepteur ACE2 dans le tissu adipeux. Au contraire de certaines publications, aucune expression de la protéine n’a été détectée sur les adipocytes (ex vivo, différenciés in vitro, ou sur tissu fixé). L’hypothèse de récepteurs alternatifs (CD147, DPP4, NRP1), dont l’expression est augmentée dans l’obésité et au cours de l’inflammation, est mise en avant par les auteurs. Ceci constitue un point important dans l’élaboration de pistes thérapeutiques visant à bloquer l’entrée du virus dans les adipocytes. Cette étude révèle également la présence de différents sous-types de macrophages dans le tissu adipeux, avec une grande hétérogénéité de permissivité et de réponse inflammatoire au SARSCoV-2. D’autres études seront nécessaires pour identifier les facteurs qui conduisent à cette susceptibilité, leur lien avec l’obésité, leurs interactions avec d’autres cellules immunitaires et finalement leur rôle dans l’inflammation systémique et la sévérité de la maladie. Les limites de l’étude sont d’une part le faible nombre d’échantillons étudiés, et d’autre part l’utilisation de la souche originelle (WA-01) uniquement. La réponse aux autres variants devrait également être étudiée.

L’étude de Saccon et al. parue dans Nature Communications en septembre 2022

Objectifs:

Cette publication apporte des résultats complémentaires sur la réponse des adipocytes à l’infection par le SARS-CoV-2 selon deux critères qualitatifs : le site anatomique (tissu adipeux viscéral ou sous-cutané) et la souche du virus. En effet, la quantité de tissu adipeux seule ne peut expliquer le lien entre obésité et sévérité de la COVID-19, les hommes étant plus sévèrement touchés alors qu’ils ont moins de tissu adipeux que les femmes. Cependant, la distribution des deux types de tissus est différente entre les deux sexes, les femmes ayant tendance à avoir plus de graisse sous-cutanée tandis que les hommes ont une masse plus importante de graisse viscérale. De plus, l’adiposité viscérale est un facteur de risque de maladies cardiaques et métaboliques plus important que l’adiposité sous-cutanée.

Principaux résultats:

Les expériences d’infection virale ont été réalisées sur des adipocytes différenciés in vitro à partir de tissus adipeux prélevés sur différents site anatomiques au cours de chirurgie abdominale. Les deux souches de virus utilisées étaient la souche originelle (CoV-2(B)) obtenue du second cas de COVID-19 au Brésil, ainsi que le variant gamma P.1 (CoV-2(P.1)) apparu également au Brésil, et responsable de la majorité des cas et décès en 2021 dans ce pays.

Quelles sont les différences liées à la souche virale ?

Le pouvoir infectieux de ces deux souches virales sur les adipocytes est remarquablement différent, et de loin beaucoup plus élevé avec la souche originelle. Ainsi, 24 heures après infection d'adipocytes d’origine sous-cutanée, la charge virale est 240 fois plus élevée avec la souche CoV-2(B) qu'avec la souche P.1, et la production de particules virales infectieuses est 770 fois plus élevée. De même, une étude protéomique a révélé que la réponse inflammatoire des adipocytes à l’infection par le SARS-CoV-2 était très largement dépendante de la souche virale, avec seulement 22% de similitude entre les deux souches. Il est observé de manière intéressante que dans les adipocytes d’origine viscérale, la souche CoV-2(B) régule négativement la réponse interféron de type I, tandis que le variant CoV-2(P.1) la régule positivement.

Quelles sont les différences liées à la nature du tissu graisseux ?

Quelle que soit la souche virale, la charge virale mesurée est toujours beaucoup plus forte (35 fois) dans les adipocytes d'origine viscérale que d'origine sous-cutanée. L'étude protéomique montre également que la réponse inflammatoire varie en fonction de l’origine tissulaire, avec 34% de similitude seulement entre les deux localisations. Ainsi, dans les adipocytes d’origine sous-cutanée, l’infection par les deux variants entraine très peu de modifications dans l'expression d’interféron alpha et d’interleukine 6. Dans la graisse viscérale, en revanche, l’infection par la souche CoV-2(B) augmente fortement la production de ces cytokines pro-inflammatoires, tandis que l’augmentation est plus modérée avec la souche CoV-2(P.1). Sachant que ces deux cytokines sont impliquées dans les anomalies métaboliques dans l’obésité, et que leur expression est de base plus élevée dans la graisse viscérale, le lien semble ici évident entre obésité et inflammation dans la Covid-19.

Conclusions:

Cette étude montre qu’avec la souche originelle, le tissu adipeux viscéral est le plus susceptible à l’infection, la réplication du virus et la production de cytokines pro-inflammatoires. Le variant gamma P.1 induit des réponses antivirales différentes, beaucoup moins inflammatoires. Ces observations, qui corrèlent avec la moindre pathogénicité des nouveaux variants, indiquent une certaine relevance quant au rôle du tissu adipeux dans la physiopathologie de la COVID-19.

En savoir plus

Références :

Martínez-Colón, Giovanny J et al. “SARS-CoV-2 infection drives an inflammatory response in human adipose tissue through infection of adipocytes and macrophages.” Science translational medicine vol. 14,674 (2022): eabm9151. doi:10.1126/scitranslmed.abm9151
Saccon, Tatiana Dandolini et al. “SARS-CoV-2 infects adipose tissue in a fat depot- and viral lineage-dependent manner.” Nature communications vol. 13,1 5722. 29 Sep. 2022, doi:10.1038/s41467-022-33218-8
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Sylvain DUBUCQUOI

Les Lymphocytes Th17, vous connaissez ?

Je crois pas non ;-)

En tout cas, pas aussi bien qu'une fois que vous aurez lu cette belle revue publiée ce 3 janvier dans la revue Nature Immunology.